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La figue et autres Moracées
mardi 11 mai 2010, par
Les Moracées intéressent l’allergologie principalement en raison de l’allergie au Ficus.
Les réactions alimentaires à certains fruits issus de Moracées (figue, mûre, petit jacque, etc..) sont beaucoup plus rares. Mais ces fruits présentent des relations moléculaires variées avec d’autres produits allergisants : ici le Ficus, le latex d’hévéa et le pollen de bouleau. Et même la sensibilisation aux LTP.
A ce titre, la figue rejoint le kiwi et le soja comme exemples démonstratifs du paradoxe de l’allergologie moléculaire : celle-ci évacue la brume dans la forêt et révèle une complexité inattendue (tant d’arbres différents) en même temps qu’elle suggère une certaine logique (certains arbres sont alignés)…
Figue
La figue est le fruit d’un Ficus différent des Ficus ornementaux : le Ficus carica.
L’allergie à la figue a fait l’objet de plusieurs publications relatant surtout des cas isolés.
Les patients sont rarement des enfants , et les réactions cliniques peuvent s’avérer très sévères .
Le Réseau d’Allergo-Vigilance avait relevé en mai 2010 8 cas concernant la figue sur 900 déclarations, soit autant que la banane ou l’avocat.
L’allergie à la figue fraîche ne s’accompagne pas systématiquement d’une allergie à la figue séchée . Cela dénote peut-être une destruction d’une protéine PR-10 (Bet v 1-like) au cours de la dessication
Et, de même, les TC natifs montrent souvent des réactions plus nettes avec la figue fraîche qu’avec la figue séchée .
Il a été rapporté un cas d’allergie à la peau de figue sans allergie à la pulpe .
Les allergènes de la figue sont mal connus, hormis la ficine (une cystéine protéase).
Des résultats contradictoires entre auteurs ont été rapportés pour les kDa en blot.
Une chitinase est très probable du fait des réactions croisées observées entre latex et figue et notamment avec l’hévéine .
Une PR-10 Bet v 1-like semble, par contre, clairement repérée depuis les résultats de Hemmer .
Présence d’une LTP ?
- Il n’est pas rare d’observer des histoires cliniques d’allergie à la figue dans des cohortes de patients Espagnols consultant pour allergie à des fruits .
- De même, Asero relève 5 cas pour la figue parmi 49 patients Italiens mono-sensibilisés aux LTP .
- Est-ce le cas pour l’observation d’une allergie aux figues printanières sans allergie aux figues d’automne ("classiques") ? .
Figue et latex : d’Hévéa ou de Ficus ?
La figue est-elle un fruit à classer dans le syndrome latex-fruits ?
L’examen des cas cliniques et des séries de patients avec allergie à la figue, allergie au latex et/ou sensibilisation au Ficus tend à montrer une relation beaucoup plus nette entre figue et Ficus qu’entre figue et latex :
- parmi 10 publications d’allergie à la figue seules 2 notent une réactivité pour le latex et chez une minorité de sujets.
- chez les patients allergiques au latex une histoire clinique d’allergie à la figue est rarement évoquée
- et, inversement, des patients allergiques à la figue sont volontiers sans allergie (ou TC positif) pour le latex .
- dans la série de Hemmer aucun des 11 patients allergiques au latex ne rapportait de réactions avec la figue, contrairement aux patients allergiques au ficus ou au bouleau
Si la rareté des cas d’allergie à la figue chez des sujets allergiques au latex peut être expliquée, en partie, par une consommation limitée de figues comparativement à la banane ou au kiwi, l’avocat n’est pas non plus un aliment très couramment consommé.
Les cas d’allergie à la figue sont par contre assez souvent rencontrés en association avec une sensibilisation au ficus. Et la concordance de réactivité avec certains produits (kiwi, papaye, voire ananas) ou allergènes (papaïne) apporte crédit à un syndrome Ficus-aliments. La responsabilité de cystéine protéases est évoquée aussi par l’observation de réactivités croisées figue-papaïne et figue-kiwi .
Le latex d’hévéa qui contient aussi une cystéine protéase, pourrait jouer un rôle supplémentaire dans des associations figue-latex-Ficus.
La démonstration de ce lien moléculaire est encore à prouver. La broméline (ananas) est une cystéine protéase mais ne peut être utilisée comme marqueur in vitro d’une sensibilisation à ces enzymes du fait de sa réactivité avec les IgE anti-CCD.
La papaïne est, elle, non glycosylée et pourrait avoir une utilité pour explorer une association figue-latex-Ficus.
Existe-t-il un syndrome Ficus-aliments ?
Hemmer a évoqué la possibilité d’un syndrome « Ficus-fruits » qui serait en partie indépendant du syndrome latex-fruits.
Plus généralement on pourrait parler d’une association Ficus-aliments. En faveur d’un tel syndrome : les observations cliniques et la présence de protéines homologues, les cystéine protéases.
Ces enzymes sont ubiquitaires. On distingue différentes familles de cystéine protéases, la plus connue étant la famille C1 ou « papain-like » (souvent nommées « thiolproteases » en anglais).
On trouve des cystéine protéases papain-like IgE-réactives dans :
- les acariens (Der p 1, Der f 1, Blo t 1, etc..)
- et plusieurs produits d’origine végétale : la ficine (Fic c 1) dans le Ficus et la figue, l’actinidine dans le kiwi (Act d 1), la papaïne (Car p 1) et la chymopapaïne dans la papaye, la broméline (Ana c 2) et l’ananaïne dans l’ananas, Gly m Bd 30K dans le soja.
D’autres végétaux présentent des cystéine protéases papaine-like dont l’IgE-réactivité n’est pas démontrée pour le moment.
Le tableau suivant donne les pourcentages d’identité entre l’enzyme présente dans le latex d’hévéa et divers autres produits :
% d’identité | en italiques : IgE-réactivité connue |
---|---|
90% | manioc |
80-85% | haricot, riz, chou, palmier à huile , .. |
75-80% | pois, pomme de terre, carotte, patate douce, .. |
70-75% | tournesol, fève, .. |
65-70% | Gly m Bd30K, pois mungo, pois chiche, colza, .. |
60-65% | actinidine |
50-55% | broméline, chymopapaïne |
45-50% | papaïne, ananaïne |
La comparaison de la ficine avec ces autres cystéine protéases n’est pas possible, la ficine n’ayant pas été séquencée jusqu’à présent.
Cependant, un lien entre Ficus et/ou figue et d’autres produits végétaux est suggéré par diverses observations cliniques. Il en est de même pour l’association latex-manioc.
Le tableau ci-dessous détaille les observations cliniques associant des réactivités pour le Ficus, et/ou le latex d’hévéa, la figue et d’autres aliments contenant des cystéine protéases.
Ref 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 / 9 / 10 / 11 / 12 / 13 / 14 / 15
/ 16 / 17 / 18 / 19 / 20 / 21 / 22 / 23 / 24 / 25 / 26 / 27 / 28 / 29 / 30 / 31 / 32
Ce tableau montre :
- que dans de nombreux cas le latex d’hévéa participe peu ou pas du tout à l’association Ficus-figue
- que l’on observe des tableaux cliniques avec kiwi et figue (et/ou Ficus) où le latex joue un rôle mineur
- que pour la papaye, la papaïne et l’ananas un lien est possible aussi mais sa relevance clinique n’est pas encore prouvée (surtout des TC positifs)
- que si le recrutement est basé sur une allergie au latex d’hévéa, la sensibilisation classique (domaine hévéine) semble dominer celle mettant éventuellement en jeu des cystéine protéases
- qu’enfin, l’allergie au manioc montre bien un lien avec d’autres cystéine protéases dont celle du latex : celle-ci serait donc bien allergisante.
Au total, il existe un faisceau d’arguments en faveur d’un nouveau syndrome, un syndrome Ficus-aliments, ou plus exactement un « syndrome cystéine protéases ».
Devant une histoire clinique évocatrice de réactions alimentaires avec la figue, la papaye ou l’ananas, il pourrait être utile de compléter l’investigation au sujet d’autres produits végétaux contenant des cystéine protéases.
A noter que les cystéine protéases des acariens croisent mal avec celles des végétaux .
Qu’en est-il pour la mûre et d’autres fruits des Moracées ?
Mûre
Dans la mesure où la mûre (Morus alba ou Morus nigra) fait partie de la même famille que le Ficus et la figue (Moracées), la question d’une allergie croisée Ficus-mûre peut se poser.
NB : les mûres dont il est question ici ne sont pas les mûres que l’on cueille sur les ronces ou que l’on trouve en France sous la forme de confitures. Ces ronces, Rubus fruticosus, appartiennent à la famille des Rosacées.
Le nombre d’observations d’allergie à la mûre est extrêmement restreint :
- 3 cas en Italie , 2 en Espagne , 1 en Turquie , 1 en Autriche .
- tous ces patients étaient polliniques et beaucoup présentaient aussi des réactions avec les fruits des Rosacées.
- la réaction avec la mûre était souvent sévère.
Les pays d’origine et l’association avec les Rosacées ont fait évoquer des LTP.
- Dans un cas le blot a été réalisé pour la mûre et montrait, de fait, une bande 10 kDa (ainsi qu’une 18 kDa).
Dans un autre travail d’auteurs Italiens, des TC natifs étaient positifs pour la mûre chez 31 patients parmi 45 polliniques à la pariétaire. Et 20 des 31 patients disaient n’avoir jamais mangé de mûres. Une sensibilisation à la pariétaire était présente aussi pour les 2 patients de Caiaffa .
Cette association pourrait soulever le rôle d’une sensibilisation aux LTP de pariétaire (Par j 1 / j 2) avec réactivité induite pour une LTP dans la mûre.
Cependant un travail récent de Ciardiello semble démentir cette association clinique pollen-aliment. En effet, si dans ce travail il a été montré que la mûre (Morus nigra) contenait bien une LTP IgE-réactive (Mor n 3), les tests de réactivité croisée se sont montrés négatifs entre cette LTP et celle de pariétaire Par j 2.
Il est possible que dans la série de Caiaffa le mode de recrutement des patients ait favorisé la présence d’un nombre important de sujets sensibilisés aux LTP, sans qu’une relation pariétaire -> mûre ne soit opérante.
L’étude de Ciardiello a par ailleurs montré que la positivité pour cette de LTP de mûre, tant in vitro qu’en tests cutanés, n’avait pas de pertinence clinique chez des sujets recrutés sur la seule présence d’une réactivité in vitro pour des LTP. En effet, 88% de ces sujets sans allergie à la mûre s’avéraient être positifs en TC pour Mor n 3 !
Un syndrome bouleau-Moracées ?
A côté d’une étiologie LTP, des pollens sont également candidats pour générer une réactivité pour la mûre.
Dans un travail récent, Hemmer a en effet élargi la panoplie des liens entre Moracées et d’autres produits allergisants :
- parmi 85 mono-polliniques au bouleau, de très fréquents résultats positifs ont été observés en prick natif avec divers fruits de la famille des Moracées : figue (fraîche) 78%, mûre 91% et petit jacque 91% !
- et en blot une PR-10 est suspectée dans ces fruits car la bande 17 kDa qu’ils montraient était inhibée par rBet v 1
L’existence d’une nouvelle association pollens-aliments est donc avancée par Hemmer : un syndrome bouleau-Moracées …
Au total, on pourrait donc rencontrer :
- des associations avec latex et/ou ficus, dues
- à des chitinases (ex. figue, kiwi)
- ou à des cystéine protéases (ex. figue, kiwi)
- des associations avec le bouleau dues
- à des PR-10 (Bet v 1-like) (ex. mûre, figue, kiwi)
- et, dans certains contextes, des réactions dues à des LTP (ex. mûre) …
Le récent travail de Hemmer est très instructif à ce propos, tant pour les associations avec les fruits des Moracées que pour d’autres associations entre pollens et aliments ou entre latex et aliments. Le graphique ci-dessous donne la fréquence observée par ces auteurs pour des TC natifs positifs selon le recrutement des patients (Autriche) :
- 85 patients poliniques au bouleau, mais TC négatifs pour ficus, latex et armoise
- 32 patients polliniques à l’armoise, mais TC négatif pour ficus, latex et bouleau
- 60 patients allergiques au ficus, mais TC négatifs pour le latex, le bouleau et l’armoise
- et 11 allergiques au latex, mais TC négatifs pour ficus, bouleau et armoise
Ce graphique montre notamment :
- l’écart entre figue fraîche et figue sèche chez les polliniques au bouleau
- des fréquences classiques pour divers aliments chez ces polliniques, avec le cas du kaki et celui de la pomme de terre qui méritent d’être soulignés
- des fréquences élevées de réponse pour la camomille et le miel chez les polliniques à l’armoise, ce qui n’est pas inattendu
- et une association entre latex et figue plutôt limitée
Dans ce même travail, il était souligné que l’association ficus-figue était beaucoup plus souvent d’expression clinique sévère (8 cas sur 10), comparativement à l’allergie croisée bouleau-figue (3 cas sur 22).
Enfin, des taux insuffisants de protéine Bet v 1-like sont présents dans le CAP figue car ce dernier était souvent négatif en cas d’association bouleau-figue, contrairement à une association ficus-figue.
Petit Jacque et arbre à pain
Le petit jacque provient d’un arbre (le jacquier, Artocarpus heterophyllus) de la famille des Moracées.
Il est très peu consommé en Europe.
Trois publications (4 cas) font état d’une allergie au petit jacque, dont 1 cas d’anaphylaxie . Ce dernier cas s’inscrivait dans le cadre d’une allergie au latex (infirmière, réactivité cutanée banane et avocat) . Un autre cas a été colligé par le Réseau d’Allergo-Vigilance, ce qui indique une allergénicité non négligeable pour un fruit consommé surtout locaement.
Un lien avec le pollen de bouleau est nettement suggéré. En effet :
- si Wüthrich n’avait pas trouvé de réactivité croisée entre petit jacque et Bet v 1 ou Bet v 2 ,
- un TPO ouvert a été trouvé positif chez un sujet sur 5 parmi des polliniques au bouleau à priori non allergiques à ce fruit . Et Bet v 1 inhibait une bande de masse équivalente (17 kDa) dans l’extrait de petit jacque,
- et, parmi 85 polliniques au bouleau, un TC natif avec le petit jacque était positif chez 91% des patients. De plus, rBet v 1 inhibait également une bande de 17 kDa dans le petit jacque …
On voit que, si les progrès de l’allergologie moléculaire ne tendent pas toujours vers une simplification des mécanismes potentiels, ils peuvent aussi éclairer des tableaux complexes et parfois déroutants, comme cette observation concernant un fruit botaniquement proche du petit jacque, le fruit de l’arbre à pain (Artocarpus altilis).
Il s’agit d’un patient vivant à la Martinique :
- vu pour une urticaire généralisée et œdème de Quincke après ingestion de banane
- et présentant rhinite et urticaire de contact lors de la taille de certains végétaux contenant du latex : ficus et arbre à pain
- le patient tolérait le fruit de l’arbre à pain, lequel se consomme cuit
- les test cutanés étaient positifs pour le ficus et le latex d’hévéa (mais sans allergie à ce dernier), ainsi que pour la banane et le fruit de l’arbre à pain (cru) en tests natifs
- des réactivités croisées étaient montrées entre latex, ficus ou banane et fruit de l’arbre à pain (extraits d’aliments : crus) …
On peut suspecter que le patient s’est sensibilisé à des protéines présentes dans le latex du Ficus et de l’arbre à pain, responsables de l’allergie à la banane, mais sensibles à la chaleur (TC positif avec le fruit cru de l’arbre à pain mais pas d’allergie car consommé cuit) ; ces mêmes protéines sont aptes à générer un TC positif pour le latex d’Hévéa (mais sans expression clinique).
On sait que les chitinases sont sensibles à la chaleur. Ce pourraient être les allergènes impliqués ici. Tester la réactivité du patient à l’hévéine (Hev b 6.02) aurait peut-être donné une indication.
Un autre exemple très démonstratif de l’intérêt de l’approche moléculaire est donné par les 2 cas d’allergie au petit jacque relevés par Hemmer dans son étude des fruits des Moracées : en effet, les deux fois l’allergie s’est manifestée quand les conditions d’allergie croisée ont été remplies, les patients étant indemnes de symptômes jusque là :
- allergie apparaissant chez une femme d’origine Malaysienne après son émigration vers l’Autriche (et le contact avec le pollen de bouleau)
- et, inversement, réaction clinique avec le petit jacque chez un patient Autrichien, pollinique au bouleau, lors d’un séjour de vacances en Indonésie !