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Les profilines
Saturday 21 August 2010, by
La présence d’un autre allergène que Bet v 1 dans le pollen de bouleau a été suspectée dès 1983 par Ipsen au Danemark. Cette protéine IgE-réactive a été confirmée par Jarolim en 1989 et montrée correspondre à une profiline en 1991 par la même équipe à Vienne : c’était Bet v 2.
A la suite des observations de Calkhoven , il a été rapidement établi que des profilines IgE-réactives étaient présentes dans de nombreux pollens et aliments végétaux ; et qu’elles manifestaient une large réactivité croisée entre elles. La notion de « panallergène » a ainsi été introduite .
Ce « succès » des profilines est en grande partie du :
- à la relative facilité d’obtention des protéines à partir des sources naturelles (solubilité, purification par chromatographie d’affinité)
- à la confection dès le début des années 1990 de profilines recombinantes (ex. rBet v 2), lesquelles ont permis la détection de profilines cross-réactives dans de multiples produits.
En août 2010 la base Allerdata recensait pas moins de 102 profilines sur un total de 1533 protéines IgE-réactives :
- 49 dans des pollens
- 47 dans des aliments végétaux
- 3 dans d’autres produits végétaux : le latex d’hévéa, la feuille de tabac et Arabidopsis (une plante de laboratoire)
- 3 dans des acariens (D. pteronyssinus, Blomia et Suidasia) dont le statut de protéine IgE-réactive pourrait mériter d’être confirmé par d’autres études
L’ubiquité des profilines s’explique par leurs multiples fonctions dans les cellules eucaryotes : modifications du cytosquelette, signalisations, etc.. Elles ont, par exemple, un rôle important dans la germination du grain de pollen .
Les profilines sont de petites protéines (13-15 kDa), non glycosylées, et dont l’allergénicité est modérée :
- d’un côté elles formeraient à l’état naturel des dimères ou plus , forme qui est suspectée favoriser l’allergénicité
- mais d’un autres côté, étant des protéines ayant un homologue chez l’Homme, elles seraient moins immunogènes que des allergènes comme Bet v 1 (bouleau) ou Phl p 1 (fléole)
Réactivités croisées entre profilines
Les homologies entre profilines végétales sont élevées (70-85% d’identité séquentielle). Mais ces profilines ont une ressemblance assez modeste (30-40%) avec les profilines d’autres classes du vivant. Ainsi on n’a pas caractérisé de profiline fungique IgE-réactive jusqu’à présent.
Mais les profilines, comme d’autres protéines globulaires, ont avant tout des épitopes conformationnels . Ainsi :
- une certaine homologie locale au niveau d’un épitope seulement peut permettre une réactivité croisée, même si elle est de faible affinité. C’est le cas pour la profiline humaine :
- Valenta avait noté quelques patients positifs pour la profiline humaine lors de son travail princeps sur Bet v 2
- Tordesillas a confirmé cette observation chez des patients allergiques au melon et positifs pour la profiline de melon Cuc m 2 : 10 de ces 17 patients étaient également positifs pour la profiline humaine
- la profiline humaine serait donc potentiellement un « auto-allergène »
- à l’inverse, de fines différences au niveau des épitopes (y compris entre isoformes d’un même allergène ) peuvent susciter des discordances entre résultats pour telle ou telle profiline :
- si des concordances quasi-totales de positivité pour rPhl p 12 (fléole) et rBet v 2 (bouleau) ont été rapportées
- des écarts tantôt en faveur de Bet v 2 , tantôt en faveur de Phl p 12 sont possibles.
- de même, dans une une large étude utilisant le test ISAC, les positivités pour les 9 profilines du test allaient de 3,4% (rPhl p 12) à 7,2% (rMer a 1, mercuriale)
- et si les corrélations entre résultats chiffrés 2 à 2 sont bonnes , la pente de ces corrélations est souvent différente de 1, ce qui dénote de fines différences d’IgE-réactivité entre profilines.
On a donc d’une manière générale une large réactivité croisée, avec quelques variations : des épitopes communs + des épitopes plus ou moins spécifiques d’espèce .
En pratique, on retiendra qu’il n’est pas nécessaire de tester plusieurs profilines pour rechercher une sensibilisation profilinique chez un patient donné. Les puces type ISAC n’apportent pas de renseignement supplémentaire par rapport à un CAP isolé.
A l’heure actuelle on peut tester en CAP rBet v 2 (bouleau), rPhl p 12 (fléole), rPru p 4 (pêche) et rHev b 8 (latex). Ces deux derniers recombinants ont peu d’intérêt (cf. plus loin) et le choix se portera sur la profiline du pollen dominant de l’environnement du patient.
Quelles sont les prévalences d’IgE-réactivité des profilines ?
Les positivités pour une profiline sont fortement variables d’une étude à une autre, avec néanmoins un gradient Nord-Sud : beaucoup plus de patients sont réactifs aux profilines dans la partie méridionale de l’Europe.
Par ailleurs, les chiffres dépendant de la sélection des patients : les cohortes avec pollinose et allergie alimentaire ont des prévalences de positivité pour les profilines nettement plus fortes que les cohortes de polliniques sans allergie alimentaire. Les chiffres publiés vont ainsi de 2-5% à plus de 60% (ex. et voir aussi : Bet v 2).
La présence d’une IgE-réactivité profilinique reflète donc la présence d’un tableau allergique plus étendu :
- allergie à des aliments végétaux en plus d’une pollinose
- réactivité à plusieurs pollens plutôt qu’à un seul
Comme pour les polcalcines, on trouve avant tout des résultats positifs en profiline chez des patients présentant une multi-réactivité pollinique :
- ces derniers étaient 64% parmi les sujets positifs en profiline, contre 12% en cas de profiline négative, dans une étude de l’équipe de Deviller
- un test cutané positif pour rBet v 2 était noté chez 55% des patients positifs pour plusieurs pollens, mais chez aucun des mono-polliniques
- une réactivité en profiline n’était vue que chez des patients positifs pour au moins 4 pollens, comme le montre la figure ci-dessous :
Le caractère un peu « accessoire » d’une sensibilisation aux profilines apparaît aussi dans la grande rareté des patients mono-profiline, c’est-à-dire positifs en profiline bien que négatifs pour les allergènes principaux et spécifiques du produit allergisant (ex. patient positif pour le seul pollen de bouleau, avec Bet v 2 positif avec Bet v 1 négatif) .
Ce qui pose la question de l’impact clinique d’une IgE-réactivité vis-à-vis des profilines : ces allergènes n’ont-ils qu’un intérêt diagnostique (= expliquer des tests cutanés ou in vitro discordants avec la clinique) ? Ou bien sont-ils aptes à participer à tout ou partie d’une réaction clinique chez certains patients ?
Ce point sera abordé ci-après. Mais il n’est pas vain de noter au passage que les remarques concernant la terminologie ont ici toute leur place : peut-on parler de patients « poly-sensibilisés » alors qu’il s’agit en grande partie d’un mirage, à savoir une (ou deux) vrai(s) sensibilisation(s) et de simples réactivités croisées positivant de nombreux autres produits … On voit l’intérêt de pouvoir confirmer la réalité d’une éventuelle multi-sensibilisation par le biais de tests orientés vers des allergènes spécifiques de ces autres produits.
Les profilines ont-elles un impact clinique ?
Profilines et pollinose
La rareté des cas de mono-réactivité à une profiline (cf. plus haut) ne favorise pas la réponse à la question de l’impact clinique des profilines au sein d’une allergie pollinique.
L’observation d’un patient présentant une rhinite en avril avec rBet v 1 négatif mais rBet v 2 positif constitue un cas assez rare : ici la pertinence clinique de Bet v 2 a été vérifiée en TC et à l’aide d’un TPN.
La profiline d’olivier, Ole e 2, a montré également son allergénicité dans une étude de patients Espagnols : 26% des polliniques à l’olivier avaient un TPN positif pour Ole e 2. Et des taux similaires étaient relevés avec d’autres profilines (armoise, Cynodon) .
Egalement en Espagne, il a été suggéré que la profiline du chénopode, Che a 2, jouait un rôle supérieur à celui de Che a 1, allergène spécifique de ce pollen .
Ces travaux rappellent que la réactivité vis-à-vis des profilines est plus fréquente en milieu méditerranéen : l’impact clinique pourrait de la sorte y apparaître plus nettement. En Italie, des scores cliniques plus sévères ont été notés chez des polliniques aux graminées s’ils étaient positifs en profiline .
On pourrait donc admettre que les profilines sont capables, dans certaines situations, de jouer un rôle additionnel dans la symptomatologie pollinique.
La question de l’efficacité d’une désensibilisation pollinique en présence d’une réactivité pour les profilines est abordée plus loin
Profilines et latex
Quelques études ont été réalisées : elles ne sont pas en faveur d’un rôle clinique notable de la profiline Hev b 8 dans l’allergie au latex (cf. l’article sur le latex).
Profilines et allergie alimentaire
Il est clair que de nombreux patients polliniques présentant une réactivité clinique pour des fruits et légumes sont IgE-réactifs en profilines . Mais l’opinion des experts est partagée :
- pour van Ree et d’autres : impact clinique faible, voire nul
- mais Asero ou Fernandez-Rivas accordent une importance non négligeable aux profilines
Ces opinions divergentes sont néanmoins du côté d’une faible allergénicité des profilines, comparativement aux LTP par exemple. De fait, l’expression clinique se résume le plus souvent à un syndrome oral.
Pourquoi des réactions plutôt locales ?
On attribue cette allergénicité modeste à l’instabilité des protéines :
- si les profilines résistent en milieu salivaire
- leur dégradation en milieu stomacal est quasi immédiate (< 1 min) . Les travaux montrant une certaine résistance digestive aux profilines sont exception .
Plus positifs sont les résultats de résistance thermique des profilines :
- pour le céleri : profiline stable 30 min à 100°C , et 4 patients/6 encore positifs en TPODA après cuisson s’ils étaient Bet v 2 positifs, contre 1/5 si Bet v 2 négatifs
- la profiline du melon résiste 15 min à 100°C et celle d’orange à la flash-pasteurisation des jus (30 sec à 98°C) .
Les profilines sont donc plus tables que les PR-10 (Bet v 1-like) et moins stables que les LTP. Malgré tout, à l’instar des observations concernant le soja, l’instabilité des profilines à la digestion doit être modulée : qu’en est-il en cas d’hypo-acidité gastrique ? Quel est l’effet de la matrice alimentaire , par exemple des pectines ?
Quels aliments avec impact clinique probable ?
Asero liste quelques aliments qui seraient assez caractéristiques d’une réactivité due aux profilines : les Cucurbitacées, la tomate et la banane surtout avec éventuellement aussi les agrumes et l’ananas .
Fernandez-Rivas y ajoute les fruits des Rosacées, dès lors qu’une réactivité LTP ou PR-10 est absente .
Ces opinions sont corroborées par des travaux sur le melon et sur les Rosacées en milieu méditerranéen.
Dans d’autres environnements, il faut évoquer le rôle suspecté des profilines dans l’association armoise – Apiacées (ex. céleri), ainsi que des observations relatives à des fruits exotiques (litchi , banane ou ananas ).
En cas de pollinose au bouleau il est difficile de distinguer la part de Bet v 2 de celle, majeure, de Bet v 1 (ex. pomme, noisette, Apiacées, kiwi, etc..). Et la pollinose aux graminées ne semble pas susciter d’allergie alimentaire aux céréales .
Une discussion plus large des différentes composantes possibles dans les réactions alimentaires à des produits végétaux est abordée dans d’autres chapitres. On pourra s’y référer :
- melon et Cucurbitacées
- ananas, litchi et aliments latex
- pêche et Rosacées, ainsi que pour la démarche diagnostique
Positivité pour un panallergène (profiline, polcalcine) et immuno-thérapie
Certains auteurs ont soutenu la thèse d’une mauvaise indication pour une désensibilisation pollinique en cas de positivité pour les profilines et/ou les polcalcines , sauf peut-être en zone méditerranéenne (cf. Les graminées et Le bouleau).
Il n’a pas été fait d’étude prospective avalisant cette position … qui pourtant concerne une décision thérapeutique très courante.
En quoi une réactivité pour les profilines et/ou les polcalcines pourrait, en soi, perturber l’efficacité d’une immuno-thérapie (IT) ? Divers arguments vont plutôt dans l’autre sens :
- les extraits utilisés en IT contiennent-ils ces protéines ? La réponse est souvent négative
- s’ils en contiennent, est-ce gênant ? Non si l’on se réfère au faible potentiel allergénique des profilines et des polcalcines
- et, si cela était le cas, en quoi cela serait-il dommageable à l’efficacité de l’IT ? On pourrait même espérer une action sur un syndrome oral induit par la pollinose …
La motivation qui sous-tend la prise en compte des panallergènes dans l’efficacité de l’IT semble plutôt résulter d’une constatation courante : quand un patient est positif pour une profiline (et plus encore pour une polcalcine), il a de grandes chances de présenter une multi-réactivité pollinique en TC ou in vitro.
Aussi, si la décision pour une IT ne se base que sur des tests positifs pour des extraits de pollens, il est clair que c’est en dépit du bon sens : il est probable que la réalité clinique est beaucoup plus restreinte, avec par exemple 1 seul pollen cliniquement pertinent et la positivité pour les autres (y compris en TC) n’étant qu’une réactivité croisée par le biais de profilines et/ou polcalcines.
Ce n’est donc pas la présence ou l’absence d’une IgE-réactivité pour une profiline ou pour une polcalcine qui importe : c’est la confirmation que le patient s’est bien sensibilisé vis-à-vis de tel ou tel pollen parmi ceux trouvés positifs avec des extraits en TC ou in vitro.
Et il suffit pour cela d’utiliser la batterie des allergènes purs (recombinants ou non) et a priori spécifiques de tel pollen (ou groupe botanique). Si on ne possède pas un outil pour toutes les sortes de pollens à l’heure présente, la plupart des situations cliniques peuvent être abordées avec :
- rBet v 1 : bouleau et autres Fagales
- rPhl p 1+5 (et parfois rPhl p 2) : graminées tempérées (fourragères et céréalières)
- rPar j 2 : pariétaires
- nArt v 1 : armoise
- nAmb a 1 : ambroisies
- nCup a 1 : Cupressacées
- nOle e 1 : Oléacées (dont frêne)
- nSal k 1 : soude (Amaranthacée)
Dès lors que l’anamnèse et les données cliniques coïncident avec la positivité pour un allergène spécifique de tel pollen, on comprend mal pourquoi l’indication d’IT serait affaiblie par la présence d’une réactivité pour une profiline ou une polcalcine.
La question paraît donc se résumer à la seule limite d’un nombre raisonnable d’extraits :
- si le patient est effectivement positif pour 3 ou 4 allergènes spécifiques (= 3 ou 4 pollens différents), est-il cliniquement symptomatique à toutes les périodes de pollinisation de ces pollens ? Dans la négative, l’IT sera guidée par la clinique.
- si le patient est symptomatique à différentes périodes de l’année, le choix sera effectivement plus difficile. On pourra cependant intégrer dans cette expression clinique l’éventuelle intervention de causes plus ou moins perannuelles (ex. acariens, phanères, ficus, voire parfois des pollens comme les pariétaires).
L’abord des poly-réactivités polliniques n’est pas toujours simple. Ainsi, dans une étude portant sur 200 patients Milanais et intégrant des TC pour 9 pollens différents ainsi qu’une profiline et un polcalcine, les auteurs ont trouvé 12 cas où au moins 6 pollens étaient positifs bien que profiline et polcalcine soient négatifs . Or il y avait autant de patients se déclarant gênés sur une seule période de l’année (printemps) que de patients qui, plus logiquement, évoquaient une symptomatologie sur les 3 périodes de l’année (arbres, graminées, herbacées).
Il aurait fallu, dans cette étude, mieux discriminer les véritables sensibilisations chez ces patients multi-réactifs en TC en étudiant leurs réactivités pour des allergènes précis (ex. rBet v 1, rPhl p 1, nAmb a 1, etc..). Ici, comme souvent rencontré ailleurs, le terme de « poly-sensibilisation » n’est pas fondé faute de preuves au niveau moléculaire.
Les deux exemples suivants montrent l’application possible d’une démarche moléculaire, étant entendu que la réponse à ces tests n’a pas pour objectif d’avaliser ou de rejeter le bien-fondé d’une immuno-thérapie mais de clarifier dans un premier temps le tableau d’une multi-positivité pollinique :
- un patient Espagnol présentait des TC positifs de nombreux pollens et pour une polcalcine (9 mm) et était négatif en profiline . Voici ci-dessous ses résultats :
TC (mm) | IgE (kU/l) | |
---|---|---|
armoise | 4 | Art v 1 0,27 |
cyprès | 4,5 | Cup s 1 <0,10 |
olivier | 13 | Ole e 1 1,80 |
pariétaire | 8 | Par j 1 <0,10 |
graminées | 8 | Phl p 5 10,9 |
plantain | 7 | Pla l 1 <0,10 |
Chez ce patient, seuls les pollens d’olivier et de graminées avaient une pertinence clinique.
- une patiente Autrichienne, pollinique aux graminées, mais dont les TC pour le bouleau, l’olivier, l’armoise, l’ambroisie et la pariétaire étaient positivés par une réactivité vis-à-vis des polcalcines : in vitro rPhl p 7 était positif mais rBet v 1 et rBet v 2 étaient négatifs. Résultats qui ont été confirmés en TC (cf. la photo des TC en fig.4 de ce travail ).
Il est possible de tester en CAP un mélange rPhl p 7 + rPhl p 12. Mais il est relativement fréquent que les réactivités pour les profilines et pour les polcalcines soient dissociées chez le même patient : il semble donc plus judicieux de tester séparément une profiline (rPhl p 12 ou rBet v 2) et une polcalcine (rPhl p 7 ou rBet v 4), le choix étant guidé par le pollen dominant de l’environnement du patient (graminées ou bouleau).
Que la réponse soit positive ou négative pour ces 2 types de panallergènes, cela n’évitera pas de devoir préciser les sensibilisations pertinentes par la recherche d’une réactivité pour un allergène plus spécifique de chacun des pollens auxquels le patient s’avère positif. En effet, c’est cette recherche qui justifie le choix et le bien-fondé de l’IT plus que la positivité ou la négativité pour une profiline ou une polcalcine.