Accueil / Information / Aller plus loin... / Familles moléculaires / Les lipocalines
Les lipocalines
lundi 19 mars 2012, par
,
Cette famille de protéines est intéressante à plus d’un titre :
– elle abrite les allergènes les plus importants du chien, du cheval, des rongeurs, etc.. ainsi que les béta lactoglobulines des laits de mammifères
– elle est l’exemple type d’une famille moléculaire dont les membres ne croisent que très peu entre eux
– elle s’inscrit dans le cadre plus général d’une superfamille de protéines , les calycines
– elle pose la question d’une relation entre allergénicité et ressemblance avec les protéines équivalentes chez l’Homme
– elle est un exemple supplémentaire de l’éventuelle relation entre allergénicité et composants non peptidiques des protéines, les lipocalines transportant des molécules hydrophobes .
Structure des lipocalines
Les lipocalines ont en commun une structure en tonnelet, 8 feuillets béta entourant une cavité capable de recevoir un ligand hydrophobe. De plus, de courtes séquences d’acides aminés sont retrouvées et caractérisent cette famille.
Selon le nombre de ces séquences, il est convenu de distinguer les lipocalines « centrales » (« core » en anglais) et lipocalines « périphériques » (« outlier »). Mais le positionnement des protéines dans ces catégories varie un peu d’un auteur à autre .
A quoi servent les lipocalines ?
Dans la mesure où ces protéines existent aussi bien chez les organismes eucaryotes que chez les procaryotes, on comprend que leurs rôles biochimiques puissent être divers :
– transport de molécules hydrophobes : phéromones (ex. l’aphrodisine), stéroïdes, rétinoïdes, acides gras (ex. béta lactoglobuline du lait)
– liaison avec d’autres protéines ou des récepteurs : retinol binding protein, C8 gamma (coagulation), apolipoprotéine D
– protéines colorantes chez les arthropodes (insecticyanine, crustacyanine)
– protéines de la salive d’insectes suceurs, avec action anti-coagulante (nitrophorines, pallidipines, procaline, triabine) , ou se liant à l’histamine (Arg r 1 de la tique du pigeon ). Les protéines D7 de la salive des diptères, comme les moustiques, présentant aussi des homologies avec des lipocalines comme les OBP (Odorant binding proteins) .
– les lipocalines peuvent aussi avoir une action d’inhibiteur d’enzyme : certaines inhibent les métallo-protéases, d’autres les cystéine protéases (ex. les VEGP sécrétées par les glandes de von Ebner )
– immuno-modulation : alpha 1 acide glycoprotéine, orosomucoïde
– rôle de défense chez les plantes
On le voit, les lipocalines ont de multiples rôles, beaucoup étant dévolus à des mécanismes de reconnaissance ou de signalement, c’est-à-dire proches de l’immunologie au sens large.
Quelles sont les principales lipocalines IgE-réactives ?
Chez les mammifères
– les béta lactoglobulines des laits de vache (Bos d 5), de jument, de chèvre, de brebis, etc..
– les allergènes des « phanères » du chien (Can f 1, Can f 2, Can f 4, Can f 6), du chat (Fel d 4, Fel d 7), du cheval (Equ c 1, Equ c 2), de la vache (Bos d 2), du lapin (Ory c 1, Ory c 2), du cobaye (Cav p 1, Cav p 2, Cav p 3), du sanglier , etc..
– les allergènes urinaires des rongeurs : Mus m 1 (souris), Rat n 1 (rat), ..
Chez les insectes
– Arg r 1 dans la salive de la tique du pigeon (Argas reflexus)
– Bla g 4 de la blatte germanique (Blatella germanica)
– les allergènes Aca s 13, Blo t 13, Der f 13, Der p 13, Lep d 13, Tyr p 13 de différents acariens
– des protéines D7 de la salive de moustique
– des protéines salivaires de triatomes, insectes suceurs de la famille des Réduvidés : procaline, triabine
La super-famille des calycines
Les lipocalines s’insèrent dans une classification plus large, la super-famille des calycines. Toutes ces protéines ont une structure en tonnelet et beaucoup d’entre elles ont une capacité de liaison/transport.
Les calycines regroupent, en plus des lipocalines, des protéines de transport des acides gras (dites FABP, pour fatty acid binding proteins), des avidines (dont la streptavidine), des inhibiteurs de métallo-protéases.
Sur le plan allergologique, on retiendra que Bla g 4 (blatte germanique) et le groupe 13 des acariens sont des FABP .
D’autres protéines sont listées dans la base Allergome comme FABP, notamment une protéine issue de la blatte américaine (Periplaneta americana), qui présente 43-47% d’identité avec le groupe 13 des acariens. Per a 4 de la blatte américaine est bien une lipocaline.
L’appartenance de ces FABP et des lipocalines à la même super-famille n’induit pas que ces allergènes ont des chances de croiser entre eux. La notion de super-famille a pour vocation de décrire des filiations entre protéines sur le plan structural et biochimique ; elle ne sous-entend rien du point de vue immunologique.
Au sein de certaines familles on peut trouver une assez bonne réactivité croisée (ex. LTP), laquelle ne s’étendra pas à d’autres familles de la même super-famille (ex. les gliadines qui, comme les LTP, font partie des prolamines).
Certaines bases de données (ex. Allfam [AllFam>http://www.meduniwien.ac.at/allergens/allfam/]) regroupent les allergènes par familles et super-familles. Ceci est d’une grande importance pour leur caractérisation biochimique, mais l’appartenance à une même famille ne sous-entend pas nécessairement une réactivité croisée.
Les lipocalines croisent-elles entre elles ?
Cette question revêt une grande importance pour deux raisons :
– un test diagnostique peut-il être positivé par une réactivité croisée n’ayant pas de relevance clinique ?
– l’allergie à un mammifère (ex. le chat) entraîne-t-elle un risque d’allergie à un autre mammifère (ex. le cheval) ?
Les chances de réactivité croisée entre protéines sont conditionnées par une homologie suffisante entre des zones limitées de ces protéines, a priori en surface de celles-ci. Il n’est pas nécessaire que l’homologie soit présente sur l’ensemble du polypeptide et, par exemple, on voit des réactions croisées entre la pro-hévéine du latex (une protéine barwin) et des protéines d’une autre famille les chitinases de classe 1 (ex. dans la banane ou l’avocat).
A contrario, à structure globale similaire peut correspondre une mauvaise ressemblance locale si les pourcentages d’identité entre protéines sont trop faibles.
C’est ainsi que la plupart des lipocalines ne peuvent croiser entre elles. Une étude des séquences polypeptidiques actuellement disponibles montre qu’il n’existe que 20 à 32% d’identité entre Can f 1 ou Can f 2 (chien), Equ c 1 (cheval), Rat n 1 (rat), Mus m 1 (souris), Fel d 4 (chat) et Bos d 2 ou Bos d5 (bœuf/vache).
Mais il existe aussi quelques exceptions :
– 57% entre Can f 1 et la VEGP humaine
– 63% entre Can f 1 et Fel d 7
– 67% entre Can f 6 et Fel d 4
– 57% entre Can f 6 et Equ c 1
– 67% entre Equ c 1 et Fel d 4
– 47% entre Equ c 1 et Rat n 1 ou Mus m 1
– 49% entre Fel d 4 et Mus m 1 et 55% entre Fel d 4 et Rat n 1
– 65% entre Rat n 1 et Mus m 1
Par ailleurs, tous ces aéroallergènes n’ont au mieux que 29% d’identité avec les béta lactoglobulines des laits de mammifères, tandis que ces dernières ont une bonne homologie entre elles : 93 à 97% d’identité au sein des bovidés (vache, brebis, chèvre) et 50-58% entre jument et bovidés.
En conséquence, on comprend :
1) qu’il n’y ait pas de réactivité croisée en règle générale entre lipocalines aéroportées, ni entre celles-ci et les lipocalines du lait
2) que les béta lactoglobulines croiseront aisément entre elles parmi les laits de bovidés, mais moins bien avec celle du lait de jument (et probablement d’ânesse)
3) que les rares observations de réactions croisées pour les phanères concernent les lipocalines les moins dissemblables, par exemple entre Can f 1 et VEGP humaine ou entre Equ c 1 et Mus m 1, comme l’a montré un récent travail de Saarelainen
4) que dans la relation chat-chien, l’homologie Fel d 4 – Can f 6 semble suffisante (67% d’identité) pour générer, par exemple, une réactivité au chien chez un patient allergique au chat.
Voir aussi Réactivités croisées entre phanères de mammifères
Si les lipocalines sont assez peu cross-réactives entre elles, sont-elles cross-immunogènes, c’est-à-dire croisantes au niveau des cellules T ? L’étude des épitopes T a montré une relative co-localisation des zones épitopiques le long de la chaîne peptidique pour Can f 1, Equ c 1, Bos d 2 et Rat n 1. Notamment au niveau de l’épitope T N-terminal, siège également du motif caractéristique des lipocalines .
Il n’est pas établi cependant que ces homologies soient suffisantes en soi pour faciliter, dans la réalité, une sensibilisation croisée, par exemple au cheval chez un patient ayant préalablement développé une sensibilisation au chien.