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Les chitinases
mardi 6 avril 2010, par
Les chitinases sont des enzymes glycolytiques détruisant la chitine.
La chitine est un composant de la paroi de nombreux organismes : insectes, fungi, arthropodes, nématodes, etc... Après la cellulose, la chitine est le polysaccharide le plus abondant dans la nature.
La chitine a un rôle protecteur. Mais les organismes colonisés ou attaqués se défendent en secrétant des enzymes capables de détruire la chitine, dont des chitinases. C’est le cas, notamment des plantes .
Les chitinases ont aussi un rôle physiologique. On en trouve, par exemple, dans le tractus digestif des acariens .
On sait à présent que des protéines chitinase-like sont également sécrétées dans l’asthme et qu’elles participent à la réponse inflammatoire .
Les chitinases sont rangées en différentes « classes » sur la base de similitudes au sein de leur séquence peptidique : on connaît ainsi 5 classes de chitinases .
Les chitinases de classe 1 sont connues en allergologie comme étant à l’origine du "syndrome latex-fruits" (cf. syndrome latex-aliments).
En fait l’allergie croisée entre le latex et certains produits d’origine végétale a essentiellement pour base une homologie avec un composant du latex qui n’est pas une chitinase mais une "win" protéine, la pro-hévéine Hev b 6.01 (WIN = wound-induced). La pro-hévéine est une protéine de défense végétale ("PR-protéine" = pathogenesis-related protein).
On comprend que des PR-protéines soient présentes dans le latex dont la sécrétion a justement pour but de combattre un danger pour la plante (cicatrisation d’une blessure, pouvoir anti-microbien, …) .
La pro-hévéine est composée de 2 portions juxtaposées : un domaine N-Terminal (l’hévéine Hev b 6.02) et un domaine C-terminal (Hev b 6.03). Dans le latex collecté sur les Hevea de l’hévéine libre est présente aussi.
La nature a parfois utilisé des "blocs" de construction pour composer ses protéines. Ainsi, le domaine hévéine se retrouve-t-il dans d’autres protéines, à commencer par certaines chitinases.
Toutes les chitinases n’ont pas de domaine hévéine (cf.schéma ci-dessous ).
Quand le domaine hévéine est présent, sa fonction est de se lier au polysaccharide à attaquer : l’hévéine est une des multiples sortes de lectines.
Le domaine C-terminal des chitinases porte, de son côté, l’activité enzymatique.
Même s’il est théoriquement possible qu’une sensibilisation au latex apparaisse secondairement à une allergie mettant en jeu des chitinases alimentaires (cf. Latex et aliments), le plus souvent le latex est l’initiateur de l’allergie croisée et, plus précisément, le domaine hévéine dans le latex .
On a donc une réactivité croisée hévéine du latex ↔ chitinases alimentaires.
Quelles chitinases sont susceptibles de croiser avec l’hévéine ?
Celles qui possèdent un domaine hévéine, c’est à dire celles de classe 1 ou 4 (cf. schéma ci-dessus).
Il se trouve que pour l’instant, seules des chitinases de classe 1 ont montré une réactivité croisée avec l’hévéine (ou le latex).
On a identifié peu de chitinases classe 4 IgE-réactives comparativement aux classe 1 : une dans le raisin et une dans le pollen de cèdre du Japon (Cryptomeria japonica).
Mais la raison principale de cette absence de réactivité croisée pourrait tenir plutôt dans un déficit d’homologie entre les domaines hévéines des chitinases de classe 4 avec l’hévéine du latex. Pour celle du raisin, le pourcentage d’identité n’est que de 53 % (cf. tableau ci-dessous).
Pourcentages d’identité des domaines hévéine de quelques chitinases en comparaison avec l’hévéine du latex (Hev b 6.02)
chitinases de classe 1 | latex (Hev b 11) | 68 |
avocat (Pers a 1) | 73 | |
banane | 68 | |
châtaigne (Cas s 5) | 70 | |
haricot | 70 | |
chitinase de classe 4 | raisin | 53 |
Les chitinases ayant un rôle important de défense pour les végétaux, on peut estimer que tous les végétaux, au moins dans certains organes importants comme les fruits ou les graines, contiennent des chitinases et pourraient être l’objet d’une allergie croisée avec le latex.
En dehors de limitations liées au degré d’identité avec l’hévéine (cf. tableau ci-dessus), un autre facteur important pour empêcher une réactivité croisée réside dans la relative fragilité des chitinases à la chaleur (cuisson des aliments) et à la digestion.
La chaleur provoque une déformation des protéines qui ne retrouvent pas toujours leur conformation initiale avec le refroidissement.
Dans le cas des chitinases, le domaine hévéine, riche en ponts disulfure, pourrait mieux résister mais la présentation des épitopes de l’hévéine être gênée par la dénaturation du domaine C-terminal.
Pour la digestibilité, il a été montré que les chitinases étaient très rapidement dégradées en milieu gastrique.
Associée à l’effet de la cuisson, cette digestibilité explique que les réactions cliniques soient souvent localisées à la sphère orale et plutôt restreintes à des aliments consommés crus : avocat, banane, kiwi, par opposition aux haricots, pois, riz et autres pommes de terre.
A noter, de plus, que ces aliments sont habituellement cuits dans l’eau ce qui entraîne une élution potentielle d’une partie des allergènes solubles. Par exemple, la châtaigne et le sarrasin, bien que consommés cuits, n’ont pas ce phénomène éventuel d’élution.
Cependant, la digestibilité n’est pas toujours complète et des peptides IgE-réactifs de 4-6 kDa ont été montrés résister à la digestion gastrique. Ces peptides ont pour origine des fragments du domaine hévéine. Leur IgE-réactivité a été prouvée tant in vitro qu’en tests cutanés .
On peut comprendre que, selon la réactivité du patient pour tel ou tel épitope sur l’hévéine, des réactions systémiques puissent être générées par les chitinases alimentaires chez certains sujets du fait de cette digestibilité incomplète.
L’hévéine du latex est-elle seule capable de générer une sensibilisation aux aliments ?
Différents points sont à aborder :
D’autres chitinases ont-elles une relevance clinique ?
- les chitinases de classe 3, telle l’hévamine du latex, ne semblent pas générer d’allergie autre que pour le latex lui-même.
- les chitinases de classe 2, comme les précédentes, n’ont pas de domaine hévéine. Cependant ces molécules ont une assez bonne homologie avec le domaine C-terminal des chitinases de classe 1.
- Des chitinases de classe 2 ont été identifiées dans l’avocat et la banane mais ne semblent pas avoir un rôle IgE-réactif important : elles n’inhibent que partiellement leur propre fruit et ne parviennent à positiver les tests cutanés que chez 2 patients/19 pour l’avocat (et aucun pour la banane)
- Cela pose d’ailleurs la question de l’IgE-réactivité de ces domaines C-terminaux : Posch trouve 3 sujets parmi 20 latex-avocat qui sont positifs pour Pers a 1 (la chitinase de l’avocat) sans être positifs pour l’hévéine. Et Diaz-Perales note que le domaine C-terminal de Cas s 5 (châtaigne) arrive à une relative inhibition de l’extrait châtaigne .
Le domaine C-terminal pourrait jouer un rôle dans la réactivité croisée entre chitinases, c’est-à-dire entre aliments, mais ce rôle reste pour le moment à confirmer.
- La réactivité d’un domaine C-terminal pourrait d’ailleurs provenir d’une sensibilisation à la chitinase classe 1 du latex, Hev b 11.
- Cependant la relevance clinique de cet allergène est elle-même très hypothétique. Par exemple, les sujets positifs pour Hev b 11 sont tous positifs pour l’hévéine , alors que ce n’est pas le cas dans le sens inverse.
- Il semble bien que la réactivité pour Hev b 11 soit une réactivité croisée de son domaine hévéine avec l’hévéine elle-même (Hev b 6.02).
Enfin quelques chitinases de classe 4 ont été montrées IgE-réactives (raisin, cèdre du Japon ).
- Ces chitinases possèdent un domaine hévéine et l’on s’attendrait à des réactions croisées avec l’hévéine.
- Cela ne semble pas être le cas comme il a été noté plus haut.
- Par ailleurs, le raisin n’est pas un fruit statistiquement associé à une sensibilisation au latex (cf. [Raisin et dérivés).
Quels éléments possède-t-on pour démontrer le rôle essentiel d’Hev b6.02 et du latex ?
- l’avocat, la banane ou la châtaigne n’inhibent qu’inconstamment le latex et que partiellement l’hévéine .
- des recombinants des domaines hévéine d’avocat et de banane (et aussi d’Hev b 11) ont été testés chez des sujets positifs pour l’hévéine : ils sont négatifs une fois sur deux .
- De plus une mono-réactivité pour ces domaines (= sans réactivité pour Hev b 6.02) est très rare .
- Force est de constater que l’hévéine du latex est très majoritairement le moteur de la réactivité à d’autres allergènes contenant un domaine hévéine.
Existe-t-il une explication à cette primauté de l’hévéine dans le syndrome latex-aliments ?
- Chen a fait l’hypothèse que certains épitopes de l’hévéine étaient absents dans les domaines hévéine croisants : l’hévéine aurait tous les épitopes nécessaires pour inhiber complètement les domaines hévéine, tandis que ces derniers ne possèderaient que certains épitopes capables de croiser efficacement avec l’hévéine.
- Un important travail d’une équipe finlandaise apporte crédit à cette hypothèse :
- malgré des pourcentages d’identité relativement élevés des domaines hévéine avocat et banane avec Hev b 6.02 (env. 73 %), des différences sont vues dans une représentation en 3D entre ces peptides (cf. figure). Un épitope est relativement bien conservé (Arg 5-Gln38), tandis que l’autre est différent dans l’avocat et la banane comparativement à l’hévéine.
- parallèlement, et de façon surprenante a priori, pour 11 sujets montrant un test cutané positif avec les domaines hévéine avocat ou latex, un seul n’est positif pour la chitinase complète correspondante.
Il semble donc que l’on soit en présence d’un double mécanisme (cf. figure) : un épitope moins affin sur les domaines hévéine des aliments et un masquage d’épitope du domaine hévéine par le domaine C-terminal dans la chitinase complète.
On aurait la gradation de réactivité suivante : hévéine Hev b 6.02 > domaines hévéine isolés (ex. recombinants) > domaines hévéine dans les chitinases complètes.