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Le syndrome latex-aliments
mardi 6 avril 2010, par
La généralisation de l’usage des gants en latex dans les années 1980 a fait apparaître à la fois une "épidémie" d’allergies au latex et l’observation d’allergies alimentaires qui semblaient liées à la sensibilisation au latex.
M’Raihi en 1989 pour la banane puis Lavaud en 1992 pour l’avocat ont été les précurseurs d’une entité dénommée en 1994 le "syndrome latex-fruits" par Blanco .
Depuis, la liste des aliments dont la réactivité est attribuée à une sensibilisation par le latex n’a cessé de s’allonger, dépassant largement les fruits exotiques et même les fruits tout simplement : châtaigne , épinard , sarrasin , poivron , concombre , etc…
Aussi plutôt qu’un syndrome "latex-fruits" , il serait plus exact de parler de syndrome "latex-aliments".
Quels sont les aliments les plus caractéristiques de ce syndrome ? Il s’agit de
- l’avocat,
- la banane,
- le kiwi,
- et la châtaigne.
La banane est, parmi ces 4 aliments, celui le plus largement consommé. Mais ce n’est pas celui pour lequel on décrit le plus souvent une allergie chez les sujets sensibilisés au latex.
A partir de 12 séries de patients, totalisant 77 cas d’allergie à la banane, on peut montrer une gradation relative de la prévalence pour l’allergie à d’autres "aliments latex" :
- l’avocat est plus allergisant que la banane (rapport moyen cas avocat/cas banane par étude = 1,44),
- la châtaigne l’est moins (rapport 0,74),
- suivie de près par le kiwi (0,66),
- tandis que la papaye arrive loin derrière (0,18).
Le syndrome "latex-aliments" a conduit à la publication de cas cliniques concernant de nombreux fruits exotiques.
- Des cas d’anaphylaxie ont été rapportés pour
- le litchi ,
- la grenade ,
- le kaki
- ou l’ananas .
- Mais l’allergie à ces fruits exotiques ne semble pas latex-liée contrairement aux cas pour la jujube ou la chérimole .
- Une anaphylaxie a aussi été notée pour des fruits dont le statut vis-à-vis du latex est mal établi ou inconnu :
- le petit-jacque ,
- l’acérola ,
- le ramboutan ,
- le dourian ,
- la tamarille ,
- la chayote ,
- l’aki , etc….
S’il est classique de ranger les « fruits exotiques » parmi les « aliments latex » et que, de fait, cela se justifie pour nombre d’entre eux, on rencontre aussi dans les listes publiées des aliments dont le lien avec le latex est plus que ténu (ex. noix, melon, pêche, piment) , voire folklorique (lait, poissons, crustacés !) .
Les allergies aux "aliments latex" : prévalences et sévérité des réactions
Les données CICBAA en mai 2007 (Pr Moneret-Vautrin, comm. Pers.) donnent pour les "type latex", 2,3 % d’allergies prouvées parmi les allergies alimentaires des enfants (n = 1092 enfants) et 14,5 % pour les adultes (n = 320).
Rancé avait précédemment donné le chiffre de 4 % pour l’allergie au kiwi chez l’enfant .
Ces prévalences sont proches des données du Réseau d’Allergo-Vigilance : 51 cas / 900 déclarations, soit 6% des déclarations (cf. tableau des déclarations du RAV).
Dans la série d’anaphylaxies mortelles colligées par Pumphrey : 1 seul cas (banane) était présent parmi 63 observations.
Quelques séries publiées donnent des indications concernant les réactions sévères comparativement aux réactions localisées à la sphère orale .
- Ces études sont en nombre limité et leurs résultats trop disparates pour pouvoir en tirer une tendance.
- Avocat, banane, kiwi et châtaigne sont tous susceptibles de provoquer une anaphylaxie.
Existe-t-il des indices orientant vers un risque de réaction sévère ?
- On ne peut se baser sur les résultats quantitatifs des tests in vitro ou des tests cutanés.
- Pour le kiwi, certains auteurs pensent que ce risque est plus élevé chez les patients allergiques au kiwi et non polliniques .
- Pour la banane, un travail a discerné un risque élevé de réaction systémique si l’allergie à la banane s’accompagne d’une sensibilisation pour le latex (8 cas/11 contre 1/12 sinon) .
Ce travail espagnol est-il transposable à d’autres environnements ?
- La même équipe s’est intéressée aux réactions cliniques vis à vis des fruits en différenciant les réactions purement locales, des réactions systémiques ou mixtes .
- Parmi les 10 fruits étudiés certains étaient "latex" (avocat, banane, kiwi), d’autres à tendance LTP (rosacées) et d’autres à tendance profiline (melon, pastèque).
- La plus faible proportion de réactions localisées (syndrome oral) était vue avec pêche et pomme (env. 30 %) et la plus forte avec la pastèque (près de 90 %).
- L’avocat totalisait 74 % des réactions localisées, le kiwi 52 % et la banane 42 %.
Une autre question intéressant le pronostic concerne la marche naturelle des allergies aux "aliments latex" : est-ce que les réactions sévères sont annoncées par des réactions d’abord localisées ?
- Trop peu de données sont disponibles dans la littérature.
- Le même travail de Crespo et Rodriguez montre que parmi 38 réactions systémiques seulement 3 ont été précédées par un syndrome oral par le passé chez les patients.
- Pour les "aliments latex" on avait de façon inaugurale une réaction systémique pour 7 des 8 cas banane, 4 des 4 cas kiwi et 3 des 3 cas avocat.
Quels allergènes dans le latex sont responsables du syndrome latex-aliments ?
On pourrait résumer ainsi la gradation des allergènes du latex vis à vis d’une association avec une réactivité alimentaire (cf. aussi les allergènes du latex) :
- sûr : l’hévéine Hev b 6.02 (le domaine hévéine libre) et la protéine complète (= la prohévéine Hev b 6.01)
- plausible mais avec un rôle probablement limité (ou additionnel) : la profiline (Hev b 8), la LTP (Hev b 12)
- plausible mais apparemment sans portée clinique (voire immunologique) : la chitinase Hev b 11
- possible mais avec des résultats contradictoires : la patatine Hev b 7 (cf. pomme de terre)
- possible mais insuffisamment étudiée : la beta-1,3 glucanase Hev b 2 , l’ENSP Hev b 13, ainsi que Hev b 5.
- De même pour l’UDP glucose pyrophosphorylase isolée par Conti : les preuves de réactivité croisée de cette enzyme avec des aliments sont très ténues
- peu probable : l’énolase Hev b 9 et la MnSOD Hev b 10
- très improbable : Hev b 1, Hev b 3, Hev b 4.
Les "chitinases" sont donc le moteur principal du syndrome latex-aliments.
A proprement parler c’est d’ailleurs plutôt le domaine hévéine des chitinases alimentaires qui est en jeu (cf. les chitinases) car ni l’hévéine du latex (une lectine), ni la pro-hévéine (une protéine barwin) ne sont en fait des chitinases.
Au plan des associations moléculaires entre latex et autres produits et aliments, il faut signaler la présence d’une cystéine protéase dans le latex. Cette protéine n’a pas reçu de statut d’allergène pour l’instant mais elle serait un candidat sérieux dans le cadre d’un syndrome différent, le syndrome ficus-aliments (cf ficus-figue).
La trilogie latex / aliments / pollens
L’effet de l’allergie au latex sur l’incidence d’une allergie aux aliments végétaux peut être illustré en comparant des sujets recrutés de façon homogène (même origine, même équipe allergologique) et sensibilisés ou non au latex :
On peut distinguer dans ces données issues de patients espagnols (= pas d’influence du bouleau) les aliments plus caractéristiques du latex (avocat, châtaigne), avec un statut intermédiaire (banane, kiwi), et ceux qui sont plutôt peu latex (pêche, melon).
De nombreux facteurs sont intriqués cependant, générant des prévalences ou des tableaux d’association clinique différents :
- les sujets multi-opérés et notamment les spina bifida présentent des allergies alimentaires "liées au latex" beaucoup moins fréquemment que les sujets professionnellement exposés : 3 à 9 % contre 20 à 50 % .
- Les consommations locales et les habitudes culinaires influent sur l’incidence des allergies alimentaires : par exemple le sarrasin, le manioc, voire la châtaigne.
- Les aliments eux-mêmes gouvernent des associations dépendant de l’environnement pollinique, selon qu’ils sont riches ou non en protéines ayant un homologue allergénique dans le pollen local. C’est le cas par exemple du kiwi avec le bouleau .
- Le motif de consultation (et de recrutement pour les séries de patients) modifie le risque de réactivité : pollinose seule, pollinose avec latex, latex avec déjà une allergie à un fruit, etc… donnent des risques différents.
- On peut d’ailleurs remarquer que la distinction entre une logique moléculaire (les produits auxquels le patient réagit possèdent des protéines homologues) et le degré d’atopie n’est souvent pas aisée.
- Par exemple, en milieu méditerranéen, l’allergie à la châtaigne sans allergie au latex est-elle initiée par la pollinose importante de ces sujets pour l’armoise ?
- Ou bien, parmi des sujets réactifs aux LTP (à la pêche), ceux qui sont les plus atopiques se sensibilisent-ils à des LTP de moindre allergénicité, comme dans le cas de l’armoise et de la châtaigne ?
Les syndromes associant une pollinose et une allergie alimentaire sont en général univoques : c’est le pollen qui induit (secondairement) la réactivité pour l’aliment et pas le contraire.
Dans le cas du syndrome "latex-aliments" ce n’est pas toujours le latex qui est l’initiateur de l’allergie aux aliments . Parfois on voit apparaître une allergie au latex chez un patient qui avait déjà manifesté des réactions avec des "aliments latex" .
Est-ce que la sensibilisation à l’aliment est capable d’induire une réactivité pour le latex qui n’aurait pas aboutie sinon ? Est-ce que les chitinases de fruits comme l’avocat, par exemple, sont assez immunogènes (ou réactogènes) pour traduire cliniquement une réactivité au latex ? On ne sait pas.
Il en va de même pour un "aliment latex" au regard d’un autre aliment (ex banane pour kiwi). On manque de travaux pour répondre à cette question, laquelle n’est pas sans importance sur le plan du pronostic et des conseils allergologiques à donner .
S’agissant de la démarche diagnostique il est important de rappeler que les tests in vitro basés sur des extraits de produits naturels, à commencer par ceux pour le latex, sont éminemment susceptibles d’interférence par les IgE anti-CCD éventuelles du patient .
De plus, il existe un écart important entre la réalité de l’allergie alimentaire et la positivité de l’histoire clinique ou des tests cutanés.
L’étude des cohortes publiées où ces critères diagnostiques ont été confrontés à une preuve suffisante d’allergie (TPO ou anaphylaxie) montre que le pourcentage d’allergiques vrais est dans la plupart des cas entre 20 et 40 % des TC positifs (même natifs) et/ou histoires cliniques positives.
Aux frontières du syndrome "latex-aliments" : les aliments sans le latex ?
Certains aliments sont très "marqués" latex : l’avocat surtout, car la banane (profiline), la châtaigne (LTP) et le kiwi (PR-10) ont d’autres causes de positivité.
Or on trouve des séries de patients polliniques, sans allergie au latex, avec des réactivités fréquentes pour ces aliments. Et inversement des cohortes sélectionnées sur une allergie alimentaire montrent des réactivités fréquentes pour le latex, sans allergie pour ce dernier.
Si l’on doit écarter les résultats in vitro car susceptibles d’être entachés par une interférence de CCD (ex ) comment interpréter les résultats s’agissant de tests cutanés ?
Des exemples :
- pricks natifs positifs pour l’avocat chez 40 % des polliniques non allergiques au latex . De même pour banane (44 %), châtaigne (36 %), kiwi 44 %. Etude effectuée à Paris.
- pricks natifs positifs parmi des polliniques aux graminées (Italie) : avocat 29 %, banane 14 % (mais pas châtaigne ni kiwi)
- Dans la même étude, cette fois avec un recrutement sur la base d’une allergie aux fruits : avocat 48 %, banane 57 %, kiwi 62 %, châtaigne 10 %.
- pricks positifs pour l’avocat (21 %), la banane (19 %), le kiwi (30 %), la châtaigne (23 %) chez des sujets recrutés pour suspicion d’allergie au melon et TC négatifs latex (Espagne) . Inversement 11 % des patients recrutés sont TC positifs latex.
- Un TC latex positif est trouvé aussi chez 24 % des patients explorés pour une allergie à la noisette (Espagne) . Et pour 28 % d’une cohorte avec allergie aux fruits (Espagne) .
Des résultats similaires sont relevés sur la base de l’histoire clinique des patients, même si l’on sait la faible spécificité de ce critère : entre 3 et 8 % d’allergie à l’avocat (selon l’anamnèse) sans allergie au latex chez des sujets polliniques ou allergiques aux fruits.
L’avocat peut-il induire une allergie à certains de ces aliments en dehors d’une allergie au latex ? La question a été insuffisamment étudiée.
- d’un côté l’avocat semble le fruit le plus proche du latex dans le "syndrome latex-fruits" et donc le plus allergisant,
- mais d’un autre côté l’avocat est peu consommé, notamment chez l’enfant.
De fait, chez les sujets allergiques à un fruit avant d’être allergiques au latex, la banane est le plus fréquemment en cause .
- Néanmoins, l’allergie à l’avocat peut être considérée comme comportant un risque d’allergie future au latex .
Les travaux suivants reprennent les études publiées à ce jour s’agissant des co-réactivités latex et "aliments latex". La pêche, en tant que moteur de sensibilisation LTP, et le melon, comme témoin d’une réactivité profilinique, y sont adjoints.
– 1) Etudes effectuées en Espagne
Réf. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
les chiffres représentent le nombre d’histoires cliniques positives (avec ou sans TC positif) . En italique : TC positif seulement . En gras : TPO positif ou réaction anaphylactique.
– 2) Etudes effectuées dans d’autres pays :
Réf. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
La pollinose ou l’allergie directe aux fruits (ex pêche et LTP) peut-elle générer une sensibilisation (le plus souvent) infra-clinique au latex ?
Et, corrélativement, une forte atopie peut-elle justifier d’une sensibilisation au latex, cette fois sous sa forme classique (Hev b 6) et générer une réactivité pour les "aliments-latex" ?
Quelles sont les communautés (connues) entre latex, les "aliments latex" et la pêche ? :
Domaine hévéine | Profiline | LTP | PR10 | |
---|---|---|---|---|
latex | X | X | X | |
avocat | X | X | ||
banane | X | X | ||
châtaigne | X | X | ||
kiwi | X | X | X | X |
pêche | X | X | X |
Pour Rihs les patients positifs pour la LTP latex (Hev b 12) ont été sensibilisés par des LTP alimentaires. Donc milieu méditerranéen. Ces réactivités LTP latex ont, selon Rihs, peu de relevance clinique.
S’agissant des profilines, une étude semble montrer qu’une pollinose aux graminées ou aux fagales génère peu ou pas de réactivité pour Hev b 8, la profiline du latex.
Par contre, une poly-pollinose induit cette réactivité dans le latex . Pour Ganglberger les positivités pour Hev b 8 chez des sujets exposés au latex ne sont vues qu’associées à une pollinose et/ou une allergie à un aliment végétal.
Là aussi, la profiline du latex a peu ou pas de relevance clinique.
Des travaux faisant état d’une "allergie croisée" entre pollens (notamment ambroisie) et banane ont aussi été publiés . Il ne s’agit pas d’une association spécifique : ces produits peuvent croiser entre eux du fait de profilines et/ou de CCD. Il n’y a pas de particularité liant la banane à l’ambroisie, bien que cela soit repris par beaucoup d’auteurs.
Deux études font état d’une relation entre sarrasin et latex . Les patients rapportent aussi des réactions avec banane, kiwi, etc… Il est possible que le sarrasin entre dans le cadre d’un syndrome latex-aliments classique, avec présence de réactions croisées entre domaines hévéine. Cela n’est pas confirmé pour le moment.
L’importante série de patients explorés pour une allergie à la cerise par Scheurer est un bon exemple de l’intrication des réactivités : ces sujets polliniques au bouleau montrent une réactivité quasi-constante pour Pru av 1 (la Bet v1-like de cerise) et 16 % de positivité pour Pru av 4 (la profiline de cerise).
Ces sensibilisations se retrouvent pour d’autres aliments auxquels les patients disent réagir cliniquement :
- pomme (96 %), noisette (79 %), etc… et kiwi (52 %) tous aliments avec PR-10
- tomate (17 %) et banane (19 %) ou ananas (10 %) qui sont des aliments à réactivité profilinique une fois le latex écarté .
Asero a cherché à différencier les réactivités alimentaires en s’aidant de moyens permettant de distinguer une sensibilisation PR-10, d’une sensibilisation LTP ou profiline.
Dans une série de sujets italiens non allergiques au latex et non-LTP on peut distinguer les aliments "PR-10" et les aliments "profiline" selon la fréquence d’histoires cliniques associées à une mono-positivité Bet v 1 ou à une mono-positivité Bet v 2 :
- la noisette est "PR-10" (56 % de positifs chez les mono-Bet v 1 positifs et aucun chez les mono-Bet v 2)
- la tomate et le melon sont "profiline" (36 et 56 % chez Bet v 2 et zéro chez Bet v 1)
- et la banane est fortement "profiline", tandis que le kiwi est partagé, à la fois "PR-10" et "profiline".
Dans un travail plus récent, Asero a cherché à déterminer quels seraient les aliments non à risque pour les patients réagissant aux LTP :
- parmi les aliments non-LTP on trouve la banane (aucun cas parmi 49 sujets "mono-LTP").
- Dans cette étude le kiwi a une position indécise, étant trouvé 5 fois/49 positif en test cutané (dont 3 avec anamnèse positive). Or, jusqu’à présent, il n’a pas été trouvé de LTP IgE-réactive dans le kiwi.
Ces travaux italiens mériteraient d’être reproduits dans d’autres environnements, notamment en l’absence de bouleau.
Des histoires cliniques positives, modestes en nombre, mais en partie surprenantes, sont trouvées pour la banane, par exemple, dans le cadre de sensibilisations à priori LTP : en Grèce chez des patients allergiques au raisin (6 cas/37) et dans le sud de l’Espagne chez des sujets poly-polliniques (armoise, platane, etc… 4 cas/56) .